Nemanja Radulovic Famille – Je trouve que dans tous les autres genres, il y a une évolution par rapport à la présentation des artistes, du concert, du spectacle… et il y a des musiciens classiques qu’on ne voit encore presque jamais, ni à la télé, ni en radio sauf sur les radios spécialisées. C’est dommage qu’il n’y ait pas une plus grande variété de genres représentés, car je suis sûr que le public serait nettement plus jeune s’il l’était.
Pensez-vous que ce changement soit le résultat de décisions de programmation délibérées prises par les médias ou, à l’inverse, du refus de certains artistes de changer d’approche et d’adopter une nouvelle posture par rapport aux médias ?
Ce sont probablement eux deux… En faisant le conservatoire, on apprend énormément de choses par rapport à la musique, mais on apprend pas le métier. Nous sommes tellement débordés que nous n’avons pas le courage d’agir.
De nombreux artistes se sentent encore mal à l’aise de rire et de plaisanter sur scène, où ils pourraient potentiellement transmettre la joie et la passion qui les motivent à faire leur travail. C’est dommage, car je crois qu’en tant qu’interprètes et artistes, notre travail est d’aider les gens à oublier leurs soucis et à s’amuser un petit moment.
Donc, nous sommes formés pour jouer d’un instrument, mais pas pour créer de l’art ?
Pas souvent… J’ai eu la chance d’avoir Patrice Fontanarosa comme professeur ; c’est un homme gentil et généreux. D’une liberté qu’il a effectivement communiquée à tous ses élèves. Bien sûr, nous avons discuté de musique et d’alto et exploré le répertoire, mais c’est aussi un altiste performant.
Maintenant que je sais comment monter sur scène, quoi apporter, comment gérer le stress, etc., les choses sont totalement différentes. Cela signifie que j’ai eu beaucoup de chance. … mais je connais aussi plusieurs enseignants qui n’adoptent pas vraiment cette approche.
Vous avez mentionné votre professeur. Quels autres artistes vous ont influencé ?
Il peut s’agir d’un mélange d’individus connus et moins connus. Isaac Stern fait partie des « classiques ». Même s’il jouait devant un large public, j’avais toujours l’impression que son alto ne parlait qu’à moi. Chacun d’entre eux avait une véritable histoire à raconter. Patrice Fontanarosa, bien sûr, dont la joie contagieuse et la bienveillance font de ses spectacles des expériences inoubliables pour le public.
C’est Martha Argerich… Après ça, il y a la chanteuse soul Whitney Houston, qui, je pense, avait un talent incroyable. On est tellement pris par son art, par sa voix, par tout son être, que parfois sur scène, j’avais l’impression que c’était elle qui faisait tourner la Terre !
Le rôle de l’artiste dans les médias et sur scène a été discuté. Vous véhiculez une image assez « punk/rock », presque rebelle, et en totale contradiction avec les clichés dont souffre la musique classique. Est-il possible que votre désir de briser les normes se cache sous la surface du style qui est unique au vôtre ? Prouver qu’un talentueux musicien de formation classique peut aussi être “rock and roll”
Il n’existe pas d’approche méthodique unique du style. Je me souviens que même enfant, j’aspirais à des choses qui sortaient un peu de l’ordinaire. Il fut un temps où moi aussi je portais cette tenue sur scène parce que c’était nécessaire. Tout le monde le faisait… Pourtant, je me sentais souvent idiot ou pingouin.
Avec la chemise et les manches… Il est donc crucial de trouver son propre style, car même si je ne porte pas toujours les vêtements que je porte sur scène, je me sens complètement à l’aise dedans. Que vous aimiez le rock ou non, vos goûts musicaux vous appartiennent. Il est crucial d’avoir une sorte de colonne vertébrale lorsqu’on est mis sous les projecteurs devant un public.
Nemanja Radulovic, l’altiste de renommée mondiale nommé “Révélation internationale de l’année” aux Victoires de la Musique Classique 2014, a été accueilli ce matin par Saskia de Ville. Son dernier album est sorti le 14 octobre et il sera là pour en faire la promotion.
La question mérite une réponse : dans sa robe noire, sa veste en cuir et son foulard cramoisi fou, il se ressemble tellement qu’il ne mérite pas une mention passagère. Concentrons-nous plutôt sur ses yeux légèrement cassants et toujours sans expression.
Qu’il évoque ses traumatismes ou les joies sans cesse répétées de son terrible métier, il y a chez Nemanja Radulovic un appétit de vivre et un émerveillement constant. Grâce à un succès planétaire inoubliable ou à une sagesse proche du moyen âge ? Cela rayonne de cette manière depuis toujours, donc non.
Ses années de formation ont été largement filmées sur caméscope. Au milieu des années 1990, on peut voir un jeune homme arpentant les rues de Belgrade, animé par le même dynamisme, le même enthousiasme et la même force. Le violon promet un apprentissage systématiquement exigeant, mais son osmose avec l’instrument est trompeuse.
Chevelure, tatouages, piercings, t-shirts punk et gilets en cuir sont tous obligatoires. Violoniste classique de métier. Nemanja Radulovic, lauréat du Premier Prix 2003 au Concours International d’Alto de Hanovre, « Révélation de l’année » aux Victoires de la Musique Classique 2005 et « Soliste Instrumental de l’Année » en 2014, s’est produit en soliste avec certains des meilleurs orchestres du monde, dont l’Orchestre Philharmonique de Radio France, l’Orchestre Symphonique de Tokyo, l’Orchestre de Chambre de Prague, le Royal Philharmonic Orchestra de Londres, l’Orchestre du Royal Opera House.
En route pour Paris pour promouvoir son nouvel album, ” Carnets de voyage”, nous avons rencontré cet “enfant terrible” de l’alto à l’Hôtel de Sers pour discuter de ses préférences artistiques, de ses habitudes sur les réseaux sociaux, de son sens de la mode et de la place de l’alto dans le canon de la musique classique.
Qui es-tu, Nemanja ?
Je suis un violoniste qui voyage beaucoup. Cela fait 29 ans depuis ma naissance en Serbie. Je vis en France depuis 15 ans et même si j’ai deux passeports, j’essaie de ne pas penser aux frontières nationales. C’est l’un des aspects les plus passionnants du travail dans ce domaine.
Vous venez de sortir un album intitulé « Carnets of Travel », intimiste et introspectif, composé d’un medley de chansons bien choisies. Pourriez-vous s’il vous plaît nous le présenter ?
Ce travail est le point culminant de nombreuses années de mon expérience de vie. Ma vie entière a été un voyage à travers la Serbie, depuis ma ville natale de Ni (l’album s’intitule même “Nika Banja”) jusqu’à la capitale Belgrade et le reste des pays déchirés par la guerre au-delà.
Ce qui m’importait vraiment, c’était de pouvoir consacrer les œuvres que j’avais découvertes avec ma défunte mère dans un album qu’elle pourrait conserver pour toujours après avoir quitté ce monde. Et puis d’y combiner et d’y fondre les œuvres classiques.
C’est émouvant car les œuvres peuvent être dédiées plus fréquemment à des personnes d’autres genres musicaux. La large reconnaissance des œuvres de musique classique rend leur écoute presque immédiatement impersonnelle. Là, j’ai vraiment l’impression d’avoir vécu une histoire avec ma mère à travers ces chansons et ce voyage, de la Serbie à la France.
Enfin, c’est plus qu’un simple carnet de voyage ; c’est un journal personnel mis en musique. Pourquoi tu le laisses sortir maintenant ? C’est un peu comme ça, oui. car il y a le côté classique et le côté traditionnel.
Une sélection de chansons ou de musiques de films… J’écris sur les films qui parlent fréquemment de guerre. Ce que j’ai vécu au-delà de ma carrière de musicien… Je me souviens de tout cela sur le CD. Après cela, peut-être que certains découvriront par eux-mêmes, parmi les fragments, un morceau de ce qui leur revient de droit.
Quel est l’intérêt de rendre hommage maintenant ? J’ai grandi dans un pays qui était activement en guerre. Finalement, quand j’avais cinq ans, la guerre a éclaté. J’ai cédé car cela me rappelait mon enfance. Mais en plus de la musique et de l’amour de toute ma famille, il y a aussi eu des histoires et des pertes profondément personnelles. Ma sœur et ma mère sont toutes deux décédées à moins d’un an d’intervalle, et cela m’a aidée à avancer d’une certaine manière. Cela étant, j’ai pensé que ce serait le moment idéal pour agir.
La pièce pour alto solo “Vatra suze” de Kalajic que vous avez incluse dans votre CD a été découverte par vous sur Facebook. Alors, que pensez-vous du rôle que jouent actuellement les réseaux sociaux dans l’évolution de la carrière d’un musicien classique ?
Je pense qu’il est crucial d’interagir avec le grand public.
Toucher un public qui autrement n’irait pas à un concert – soit parce que le sujet ne l’intéresse pas, soit parce qu’il estime devoir se déguiser – est désormais possible grâce à l’essor des plateformes de médias sociaux. C’est pourquoi je crois qu’il est vital d’avoir des lignes de communication ouvertes.
Si nous aimons quelque chose, nous cliquons dessus ; si nous ne le faisons pas, nous le zappons. Et il est évident que de nombreuses actions se produisent sur les sites de médias sociaux comme Twitter et Facebook. Il ne s’agit pas seulement des médias sociaux, mais de toutes les formes de médias.