Leila Slimani Mari – Avec une écharpe turquoise enroulée autour du cou et des talons argentés claquant sur les pavés traditionnels de Lisbonne, elle se précipite. La ponctuelle Lela Slimani tire une bouffée de la première cigarette gourmande de sa série et revient sur sa tentative ratée de devenir conductrice Uber.
Elle était en faute, bégayant dans les quelques mots de portugais qu’elle avait appris de son tuteur particulier pendant leurs deux heures de cours Zoom, un jour sur deux. Son conjoint, Antoine d’Engremont, parle bien, ajoute le bon élève, choqué d’être, pour une fois, en retard.
Leurs enfants de 11 et 4 ans, tous deux scolarisés dans une école bilingue français-portugais, ne tardent pas à la remettre d’accord.Elle reprend son souffle en ébouriffant ses cheveux. Construction mince, grâce rayonnante ; ses sourcils et ses yeux semblent avoir été dessinés au fusain.
Ils ont quitté cet été leur domicile du 9e arrondissement de Paris, n’emportant avec eux que leurs livres et quelques objets personnels. Adieu, ciel qui éteint l’éclat, les exigences, la dispersion, les regards exigeants.
Le climat agréable de Lisbonne, ses taxes raisonnables et ses vols rapides (deux vers Paris et un vers la maison de sa mère à Rabat) en faisaient une destination de week-end fréquente pour lui et ses amis français.
En raison de la crise sanitaire, son mari, ancien directeur du Crédit Suisse et actuel directeur de la société financière Kepler Cheuvreux, travaille souvent à domicile. Les limites du Covid les ont poussés à rejeter Boston, où l’Université Harvard dispensait des cours d’écriture.
Dès la fin de l’école, ils commandent une voiture et se dirigent vers la plage de la capitale portugaise où ils ont une location. Cette femme qui a quitté Rabat pour s’installer à Paris à l’âge de 17 ans a déclaré : “Mon fils et ma fille vivent une enfance qui ressemble à la mienne au Maroc”.
La voix creuse de mon père m’a beaucoup marqué quand j’étais enfant. Sa résidence de nuit
Superstar littéraire dont les œuvres ont été traduites en 45 langues, son esprit vagabonde de manière troublante, de la difficulté des devoirs scolaires de ses enfants au vomi sur son blazer, du parfum de coriandre à un récent voyage chez Zara. haché.
Un manque de zèle d’auto-promotion de la part de l’auteur, peut-être ? La suite du succès retentissant de l’année dernière “La Terre des Autres”, “Watch Us Dance” sort cette semaine chez Gallimard.
Le premier tome s’est terminé en 1956, tandis que celui-ci commence en 1968. Amine règne sur une entreprise agricole riche et jalouse à Meknès. Mathilde, sa femme française, a le vertige dans sa clinique ; leurs enfants Acha et Selim deviennent indépendants ; Acha par son éducation, et Selim parmi les hippies d’Essaouira.
Une histoire avec un langage simple, un savoir-faire artisanal, des personnages torturés et des bouleversements historiques.Tout est vrai, mais rien n’est précis. Elle décide finalement : “Je veux protéger mes proches de la violence de l’autofiction”, ajoutant : “plus tard j’écrirai ce que j’ai vécu, aujourd’hui je suis trop triste”.
Son père, le plus jeune secrétaire d’État à l’Économie du Maroc dans les années 1970, puis directeur de la banque CIH (Crédit Immobilier et Hôtelier), a été licencié en 1994 pour détournement de fonds, et les détails sont insondables.
Leïla a 13 ans. Sa voix creuse m’a fait peur et il m’a fait une sacrée impression. “Tout d’un coup, il était là”, explique-t-elle. Muet, le grand-père est enchaîné à sa chaise pendant qu’il lit. Il lui arrive parfois de représenter des ciels menaçants. Il n’y avait pas besoin d’explication, ni d’hostilité. Les filles vont bien, travaillent dur à l’école, leur mère s’occupe du ménage.
Depuis septembre, elle crée la structure de son prochain roman, le final de la trilogie, attendu dans deux ans.
Dès son premier jour de retour à Sciences Po l’année suivante, il décède. Des choses qu’elle découvre encore par téléphone. Après sa mort, il fut disculpé six ans plus tard. L’écriture était sa façon de briser le silence, car ses sœurs suivaient les traces de leur mère en étudiant la médecine.
Pouvez-vous l’empêcher de manger son père ? Un jour, elle couchera sur papier l’injustice qui a conduit à sa chute. Aujourd’hui, elle avoue librement appeler son mari à toute heure du jour et de la nuit en pleurant, car elle a “tout d’un coup peur de tout” et est convaincue que le pire résultat possible se produirait.
L’aristocrate protestant d’Europe du Nord est réconfortant. Depuis septembre, elle crée la structure de son prochain roman, le final de la trilogie, attendu dans deux ans. Elle est méticuleuse dans ses recherches, compilant les données et les organisant par dossiers et par individus.
Il l’a inspirée à prendre la plume. En 2013, alors qu’il travaille comme écrivain pour la revue parisienned ans Jeune Afrique, elle a réalisé un article mal écrit. Son conjoint lui propose de s’inscrire à l’un des cours d’écriture offerts par Jean-Marie Laclavetine, l’éditeur de Gallimard.
Le récit d’une dame dont la dépendance sexuelle la consume, “Dans le jardin de l’ogre”, a été publié l’année suivante. Elle avait « une force instantanée en elle, quelque chose de profond et de mystérieux », comme se souvient Laclavetine.
Elle m’a parlé de sa relation avec son père et je l’ai prévenue de ne pas se précipiter car “le sujet est brûlant”. Intensément, elle entend ses paroles. Cette modestie et ce manque de vanité sont confirmés par le fait qu’elle produit une série avec l’écrivain Jean-Baptiste Del Amo pour les producteurs anglais de “The Crown” avec lesquels elle est très amie.
La violence qui habite la jeune femme va donc s’articuler en dehors du père, dans cet ailleurs représenté par la déconstruction des rapports de pouvoir et de leur malignité.Macron lui a proposé le poste de ministre de la Culture, mais elle l’a refusé et a préféré devenir son envoyée spéciale pour la francophonie.
Le deuxième livre, “Chant doux”, s’est vendu à un million d’exemplaires en 2016. Le récit choc d’un infanticide perpétré par la femme d’un couple trentenaire captive les critiques. Le Prix Goncourt de la fiction.
Et nous la voyons ici, 35 ans et enceinte de huit mois, propulsée sur la liste des dix meilleurs livres de l’année du “New York Times”. Tournée mondiale promotionnelle, membre du jury au Festival du cinéma américain de Deauville, soirées à Cannes.
Alors que son mari est en congé sabbatique d’un an, elle part à l’aventure. Japon, Pérou, États-Unis, Berlin, Madrid, et ce périple mexicain où elle se déplace de Salon en festival aux côtés d’Annie Ernaux, parlant avec cette grande aînée de la situation féminine, de la révolution sexuelle, attablées dans un restaurant de Guadalajara.
Laclavetine réfute : “Je ne connais personne qui encaisse ce prix avec autant de sérénité.” Elle est consciente que des facteurs non liés à la littérature pourraient contribuer à son succès.Elle a refusé la proposition d’Emmanuel Macron de diriger le ministère de la Culture, mais a accepté d’être sa représentante personnelle à la Francophonie.
Son éditeur le lui a déconseillé. Cette fois, elle n’y prête pas attention. Elle se souvient que ses parents protestaient chaque fois qu’elle parlait arabe à la maison, alors ils ont décidé de ne parler que le français (la langue enseignée à l’école coloniale).
Elle a fini par se rendre compte que les « vrais Marocains » n’existent pas, tout comme les « vrais Français » n’existent pas. Sa plume, au romantisme classique, a le don de pulvériser subtilement les rôles qui lui sont confiés.
Les colonisateurs exploitent mais aussi construisent, tandis que les colonisés sont des saboteurs rancuniers. Les riches gouvernent et sont obéis, tandis que les pauvres sont utilisés et manipulés. Chacun domine, est dominé.
Dieu, le roi, l’histoire, la vie domestique, le sexe, l’argent et la terre sont nos maîtres et nous sommes leurs esclaves. Un antidote aux microagressions de la pensée PC. L’auteure n’est « pas dans l’identitarisme littéraire » car « ses romans reposent sur ce que nous sommes », comme le dit Kamel Daoud.
Je vois ma relation avec le Maroc comme une histoire d’amour passionnée et douloureuse.
Depuis son départ de Lisbonne, elle tente de convaincre qu’elle suit « avec intérêt la campagne présidentielle », qu’elle est attristée par le fait que « le Sud soit toujours considéré comme une menace » et qu’elle espère que « ce pays survivra ».
jusqu’à sa grande dynamique.” Et encore? Ses combats avec les hors-la-loi marocains ne manquent pas de flair. Pour la libération d’une journaliste emprisonnée pour « avortement illégal » et « relations sexuelles hors mariage » en 2019, la cinéaste marocaine Sonia Terrab lance une pétition ; Le’la Slimani la contacte, le signe et lui demande son carnet d’adresses. La grâce royale est accordée.
Depuis, le groupe milite pour l’abolition de l’article 490 du Code pénal marocain, qui rend illégale l’activité sexuelle hors mariage. Les médias nationaux ont diffamé Leila et l’ensemble de l’establishment libéral s’est retourné contre elle.
“C’est une haine réactionnaire virulente, il est attaqué parce qu’il est en France, sa légitimité est remise en question”, explique Sonia Terrab. Sous le chaud soleil de l’hiver portugais, Léla Slimani promet de “mourir au Maroc”.
Elle décrit sa relation avec le Maroc comme « passionnée et douloureuse », la comparant à une histoire d’amour avec un homme qui ne l’aimera jamais autant qu’elle l’aime. Elle finit de nouer son écharpe turquoise en disant : “On peut tout perdre, savoir perdre est essentiel.
Elle éclate de rire et en attribue la raison à la souplesse de sa peau.Son roman Sweet Song en a stupéfié beaucoup avec sa description du double meurtre horrible d’un enfant par une nounou. C’est une tragédie moderne concernant les défis liés à la conciliation travail-famille. Le langage croustillant, presque poétique noir, de Lela Slimani est pleinement mis en valeur dans ce nov.el sur la façon dont les gens pensent à l’amour, à l’éducation, à la domination, à la richesse et à la discrimination.
Née le 3 octobre 1981 à Meknès au Maroc, Leïla Slimani est la fille d’un père banquier et d’une mère médecin. Elle a obtenu son baccalauréat au lycée français Descartes à Rabat puis a poursuivi ses études à Paris à l’Institut de France.
ÉCRIVAIN PUIS JOURNALISTE
Lela Slimani a suivi le cours Florent et s’est essayée au théâtre avant même de prendre la plume. Elle a déclaré à Libération : “Mais j’étais une actrice médiocre et le cinéma ne m’intéressait pas”.Après avoir décidé de suivre une formation médiatique en complément de ses études politiques à ESCP Europe, elle rencontre Christophe Barbier, le directeur éditorial de l’Express et celui qui va éventuellement soutenir sa promotion.
Elle a peut-être fait un stage à l’Express avant de décrocher un poste à Jeune Afrique en 2008. Lela Slimani a quitté son emploi pour se concentrer sur sa carrière littéraire quatre ans plus tard.Son premier roman, Dans le jardin de l’ogre (2014), raconte l’histoire d’une nymphomane nommée Adèle et de son voyage aux enfers à la suite de l’affaire DSK.
Lela Slimani, évoquant Dominique Strauss-Kahn, raconte à Libération : “J’étais fascinée, comment pouvait-on mettre ainsi sa vie en danger ? J’ai toujours voulu entamer une conversation sur la sexualité des femmes.
Vivre dans un pays doté de lois strictes en matière de sexualité, comme le Maroc, peut conduire à une vision inhabituelle de son propre corps. L’incertitude et le secret caractérisent chaque action.L’étude de la dépendance sexuelle d’un point de vue féminin m’a davantage séduit.
J’ai toujours voulu entamer une conversation sur la sexualité des femmes.Ce premier œuvre révolutionnaire a été si bien accueilli qu’il a été sélectionné parmi les cinq œuvres en lice pour le Prix Flore 2014.