Charlotte Matzneff Fille De Gabriel – L’actrice et chanteuse Charlotte Matzneff monte sur scène après une année 2020 particulièrement mémorable pour évoquer l’importance du retour aux sources, le rôle de la culture (notamment auprès des jeunes générations) et sa prochaine production : une nouvelle adaptation théâtrale du roman Les Trois d’Alexandre Dumas. Mousquetaires, une collaboration avec Jean-Philippe Daguerre.
En l’espace de quelques mois, l’expression « aujourd’hui » a changé. Je crois que ma réponse de ce lundi 28 décembre 2020 n’est pas identique à ma réponse d’il y a un an, même si elle est très similaire. Nous devons repenser les choses parce que l’époque que nous traversons est troublante, opaque et angoissante.
Je n’ai jamais été aussi conscient du privilège d’être né dans un pays démocratique. Les différentes restrictions imposées à nos libertés depuis le début de cette pandémie, justifiées ou non (notamment l’interdiction d’exercer notre profession pendant plus de neuf mois), ont élargi ma vision.
Au lieu de dire que jouer sur scène est crucial, je dirais que se retrouver est la clé pour réaliser et vivre de grandes choses en groupe. Qu’il s’agisse de musique chorale, de ballet, de concerts de rock, de musique classique ou de théâtre, il n’y a rien de mieux que d’en faire l’expérience en direct.
Il semble aussi ridicule de penser que Netflix seul à la maison pourrait remplacer la communion de nos âmes quand la magie du théâtre est dans l’air que de supposer qu’une application pourrait remplacer les rencontres amicales en face à face. La chair, le vrai, le “live” et la matière n’ont pas de coté. Dans un monde où les écrans et la distance sont la norme, c’est nécessaire.
Il est notre champion dans la lutte contre la déshumanisation et la robotisation. Quelle que soit sa forme, le spectacle vivant constitue une arme puissante dans la lutte contre la maladie et l’isolement. Pourquoi?
Car c’est en ces temps uniques et précieux que tous ces êtres venus de paysages différents et de pays quelque peu lointains se réunissent et réalisent qu’ils ont un point commun : ils respirent ensemble. Et rien n’est plus décourageant qu’un homme découvrant qu’il a une respiration commune.
Quelle est votre compréhension de la culture ?
La culture est quelque chose qui se transmet et qui fait grandir à la fois celui qui la reçoit et celui qui la donne. Les traditions qui sont enracinées en nous constituent la base de la culture d’un pays… Une histoire racontée à travers les histoires de nos aînés… Une appréciation de la lecture qui commence dès le plus jeune âge, lorsque nos parents nous lisent à haute voix lorsque nous sommes trop jeune pour lire seul…
Quand on les découvre, le théâtre, la musique et le cirque nous font vibrer. Toute cette histoire de « un spectacle est différent tous les soirs » est tout simplement fausse, même si on le répète souvent. Le public est un partenaire essentiel de notre profession et il évolue chaque jour.
C’est son regard qui va nous faire revivre et retrouver nos sensations, alors même lorsque nous regardons trois cents fois la même émission, il veille à ne pas nous ennuyer. Si la population pleure, nous pleurons en même temps. Nous serons à côté de lui si le public rit.
Quels sont les combats que vous avez livrés pour la culture ?
Le rendre accessible à tous. À travers notre compagnie de théâtre Le Grenier de Babouchka et Jean-Philippe Daguerre, nous avons toujours proposé des spectacles au plus jeune public. Nous avons commencé à jouer dans des centres aériens, des écoles et des lycées. Quand ils ne peuvent pas venir chez nous, je pense qu’il est crucial de venir vers eux.
Alors que les enfants pourront élargir leur champ de vision avant qu’il soit trop tard. Au Théâtre Le Ranelagh, nous proposons plus d’une soixantaine de représentations devant un public étudiant exclusivement dédié. Et c’est fascinant de voir des enfants de tous horizons, qui pour certains vivent de nouvelles émotions, lorsqu’ils viennent au théâtre pour la première fois.
Nous organisons des rencontres entre étudiants et comédiens après chaque représentation. Notre objectif est de répondre à leurs demandes avec la plus grande honnêteté lorsque nous discutons avec eux. Pour eux comme pour nous, c’est une grande richesse. Je veux qu’en quittant la salle, le public ait l’impression d’avoir combattu aux côtés d’Artagnan.
Qu’est devenu le projet des Trois Mousquetaires ?
Le film en casquette et robe a toujours été mes préférés. Petite fille, j’étais captivée par Fanfan la Tulipe, Scaramouche et Les Trois Mousquetaires de Richard Lester. J’ai lu le livre quand j’étais en troisième année et j’ai été surpris de voir que les personnages étaient clairement beaucoup plus compliqués qu’ils ne l’étaient dans les nombreuses versions cinématographiques.
Les relations entre Artagnan et Athos et les femmes de leur vie m’ont particulièrement captivé. Nous cherchions avec Jean-Philippe Daguerre une œuvre populaire qui fait partie de notre patrimoine après avoir monté beaucoup de pièces du grand répertoire. Comme par magie, Les Trois Mousquetaires nous sont apparus. C’est une adaptation qui rend hommage à la fois à l’art du trapèze et au cinéma classique.
Comment s’est déroulé le processus d’adaptation ?
Jean-Philippe Daguerre et moi avons travaillé main dans la main. Au début, il y avait beaucoup de transport. Nous avons été obligés de choisir. Le roman est tellement dense et compliqué ; il y a tellement d’intrigues que nous avons dû ressortir certains points de l’intrigue. On met de côté, entre autres, le triangle amoureux entre Porthos et Aramis et les trois souricières. Seul Planchet, valet de chambre et fidèle compagnon de d’Artagnan, survécut pour raconter l’histoire.
Selon vous, qu’apporte cette nouvelle déclinaison théâtrale par rapport à aujourd’hui ? Nous avons essayé de réaliser une adaptation théâtrale tout en gardant en mémoire toutes les adaptations cinématiques qui font partie de notre patrimoine et convertissent cette œuvre en une œuvre populaire au noble sens du terme.
Mon spectacle ressemblait à un film en casquette et robe. Je veux que le public ait l’impression de faire une balade à cheval avec Artagnan. Ce serait génial s’ils avaient des cuissards et des doigts recourbés. Les scènes sont brèves et pleines d’action. Il y a de nombreuses batailles acharnées. C’est une adaptation qui rend hommage à la fois au grand cinéma et au théâtre de tréteaux (du moins, c’est mon souhait).
Comment la musique et la chorégraphie s’intègrent-elles dans votre production scénique ?
Dans ma mise en scène, la musique de combat et la chorégraphie sont omniprésentes. En effet, la musique joue un rôle crucial dans toutes mes mises en scène. Ici nous avons l’accordéon, les cajons, la guitare et le violon. Pendant qu’ils se battent, mes comédiens jouent et chantent. La partition a été composée par Tonio Mathias. Elle entretient des liens étroits avec l’univers cinématographique de Sergio Leone. Je recherche une musique mystérieuse et intrigante inspirée des cowboys.
Une bande-son omniprésente, qui sublime notre performance comme une bande-son de film. Quelque chose de musical qui joue en arrière-plan même si on ne le remarque pas toujours. Personne ne pourrait nous faire sentir plus mal que lorsque nous regardons un film plein de suspense et que la musique nous fait sauter sur le canapé même si rien ne s’est encore passé à l’écran.
Ensuite, il y a bien sûr la chorégraphie des combats. Des combats de chevaux grandioses et passionnants sont inévitables quand on imagine Les trois mousquetaires. J’ai collaboré avec le maître d’armes Christophe Mie (qui incarne également Tréville et Louis XII dans le spectacle), qui a orchestré pour l’occasion pas moins de neuf combats, dont deux impliquant plus de dix comédiens s’affrontant sur scène en même temps.
Selon vous, quel rôle jouent les femmes dans cette histoire d’hommes ? Au cœur de l’histoire se trouvent les femmes. Quoi qu’il en soit, les hommes se battront toujours pour ou contre les femmes.
Aucun mystère ne peut être résolu sans impliquer la reine, Constance et Milady. A travers les quatre mousquetaires, nous rencontrerons des femmes fortes et déterminées. Des femmes qui ont été induites en erreur par un siècle qui ne leur a laissé que très peu de place pour exister.
Le fait que la plupart des adaptations évitent systématiquement de parler du meurtre de Milady par d’Artagnan est en soi étonnant, qu’elles s’adressent ou non à un public familial. On se contente de répéter le malheur et la perfidie de Milady sans lui expliquer la haine qu’elle éprouve contre lui.
Si Milady ressemble à Artagnan, ce n’est pas parce qu’elle s’est réveillée un matin et qu’elle a décidé de gâcher la vie d’Artagnan ; c’est plutôt parce qu’elle devient brûlante et décide de se venger après avoir été maltraitée. Je suis employé pour essayer de comprendre les pensées qui mettent Milady en colère, même si je ne parle pas de cet épisode dans mon adaptation car je ne me vois pas expliquer à un jeune public que son héros mérite un #balanceonporc.
Cette femme n’est pas née diabolique ; elle le devient, selon moi, parce qu’elle n’a pas d’autre option pour rester survivante que de faire un pacte avec le diable. Dans tout ce que les femmes touchaient, j’essayais de leur rendre hommage. Leurs faiblesses et leurs forces.
Les Trois Mousquetaires, une histoire d’amour ou un récit de combats à l’épée ?
Ces trois histoires d’amour mettent en scène d’intenses combats à l’épée ! Une histoire d’amour passionnée entre Athos et Milady, une idylle entre d’Artagnan et Constance, et un grand amour entre le duc de Buckingham et la princesse Anne d’Autriche. Quoi qu’il en soit, les résultats sont tragiques. À croire que, dans une époque absurdement conçue par et pour les hommes, l’amour ne peut se manifester que dans l’adversité et le malheur.
Quels trois mousquetaires imaginiez-vous en temps réel ?
Mon frère, ma sœur et moi. “Un pour tous et tous pour un” est notre mission. Je me développe au rythme de mes enfants…
Est-ce un secret ?
Avant le dîner, je m’assure de manger tout salé. Mon petit-déjeuner se compose d’une série de desserts.
Une résistance en mouvement ?
Depuis quinze ans, je n’ai plus de télévision et j’évite pratiquement les informations. Après un long séjour aux États-Unis (où l’information est à la mode dans tous les restaurants et bars), j’ai réalisé que la télévision avait sur moi un pouvoir terrible, lancinant et terrifiant.
Et maintenant plus que jamais, pour conserver une certaine sérénité (surtout à la lumière de l’épidémie que nous vivons), il faut absolument, selon moi, éviter la télévision et être mesuré dans notre utilisation des réseaux sociaux.